Avant les six siècles précédant la Brèche, les nains passaient l’entièreté de leur vie sous terre dans les tréfonds des Monts Benadhun. Ils s’organisaient autour de clans théocratiques dédiés à Dhouran l’Architecte et à ses Génies. Il était strictement interdit à quiconque de rejoindre la surface car ce domaine leur est réservé. On disait que le courroux des Géants-Créateurs entraînerait l’effondrement de la montagne, emportant tous ceux qui y vivaient. Ainsi seul un fou égocentrique se risquerait à un acte aussi inconscient. Il fallut attendre l’an 545 AB pour qu’un tel fou, ou plutôt une telle folle, ne manifeste enfin. Elle fut connue sous le nom de Dagrin l’Hérétique, et son audace ébranla irréversiblement la foi naine.
La famille de Dagrin assurait un rôle essentiel à la communauté. Ils sculptaient des manches d’outils à base de grosses racines ou d’os, indispensable pour permettre tout type d’artisanat. Le travail était difficile et laborieux car les matériaux disponibles étaient soit piètres, soit très difficiles à trouver. Malgré ses efforts, Dagrin eut du mal à apprendre le métier et finit après moult échecs par se lasser au grand dam de ses parents. Un jour elle disparut pendant tout un mois. Tout le monde l’a cru morte perdue quelque part dans les galeries obscures. Son retour fit grande sensation et tous furent stupéfaits et choqués par les récits que Dagrin rapporta. Après une longue errance dans le noir elle avait par hasard découvert une sortie vers le monde extérieur et s’y était aventurée. Elle raconta tous les paysages infinis qu’elle avait contemplé, la chaleur dorée du soleil, le chant des oiseaux, la disparité des plantes et surtout le plus fascinant de tous : les arbres majestueux qui se dressaient dans le ciel comme des haut piliers. Elle crut rencontrer des êtres divins, mais elle fut recueillie en réalité par une famille elfe nomade. C’est auprès d’eux qu’elle put apprendre les rudiments du travail du bois, elle ramena d’ailleurs un magnifique manche en frêne façonné de ses mains pour le maillet de son père. Cependant elle ne vit pas de Génie, et aucune trace du grand Architecte. Cette révélation déclencha une cohue générale entre ceux qui déclarèrent qu’il fallait l’offrir en sacrifice à Dhouran pour apaiser sa colère, et les autres qui au contraire ne voyaient pas l’intérêt de se priver d’une terre riche de ressources et privée de dieux. Cette transgression devint fondatrice quand son histoire se répandit parmi les autres clans nains, provoquant les vagues d’apostasie qui aboutirent au schisme de 540 AB.
Le schisme vint progressivement au fil des années qui suivirent la découverte de Dagrin. Les jeunes générations étaient las de dépendre d’un système figé et théocratique. Des cercles profanes se formèrent, communautés clandestines où s’échangeaient récits, techniques nouvelles et idées jugées hérétiques. Ils finirent par organiser des expéditions à la surface malgré l’interdit. Ils revinrent avec de nouveaux savoirs et des idées novatrices pour améliorer la vie de leurs semblables. Ils établirent également un réseau commercial entre eux et les elfes pour échanger des ressources : du minerai et du métal contre du bois, de la nourriture et même des remèdes médicinaux, en particulier destinés à traiter l’infertilité qui était un problème préoccupant à cette période. Tout ceci fut bien sûr mal reçu par les autorités traditionalistes, mais ils perdirent en influence face aux clans grandissant qui embrassèrent le progrès, gagnant par là même en richesse et en avance technologique. La foi fit place au pragmatisme, et les anciens rites furent relégués au mieux en simple coutume, au pire en superstition. C’est dans cette phase de transition que les premières Unions naines finirent par se former, suivant un idéal politique nouveau, affranchi des Génies et fondé sur le savoir-faire, l’innovation et la liberté.
L’Apostasie des nains mena à l’émancipation totale vis-à-vis du clergé de Dhouran, jusqu’alors pilier de l’organisation sociale. Une restructuration politique s’imposa pour assurer un avenir prospère à leur peuple. L’idée émergea de sélectionner, parmi les clans, les nains et naines les plus aptes à tracer un nouveau chemin. Chaque clan ne pouvait en désigner qu’un seul, qu’il soit maître artisan, savant éclairé ou artiste de talent. Leur œuvre devait avoir un impact significatif sur le bien commun de leur communauté pour mériter ce rôle. Ashandhun fut choisie comme lieu de cette grande assemblée fondatrice. Les individus ainsi nommés formèrent le premier Comité d’Ashandhun, qui jetèrent les bases d’un nouveau système politique. Le pouvoir fut désormais confié à des corporations professionnelles chargées de gouverner les travailleurs et travailleuses associés à leur métier. Il les appelèrent des Unions, et les premières créées furent l’Union Minière, l’Union des Forgerons et l’Union du Négoce, suivie peu après de l’Union des Bâtisseurs. Ayant perdu leur fonction, les structures claniques disparurent par la suite avec le temps.
Bien que la majorité de la population ait embrassé ces réformes, certains restaient profondément attachés au culte du Grand Architecte. Parmi eux, beaucoup eurent du mal à s’adapter à cette nouvelle ère. C’est alors que Morad le prophète surgit un jour pour rassembler toutes ces âmes perdues. En 540 AB, il mena un exode massif vers les montagnes de Kall’Jihyel, emportant avec eux les précieuses reliques qu’ils purent sauver. Plus d’un quart de la population disparut du jour au lendemain, provoquant une crise démographique majeure pour les Unions, qui considéraient Morad comme un fanatique dangereux.
Les Unions des Monts Benadhun parvinrent, malgré cette perte soudaine de main d’œuvre, à honorer la commande faite par les elfes pour la construction de la cité d’Albâtre, achevé en 471 AB. Leur ouverture au monde permit, plusieurs siècles plus tard, de conclure les Accords de Fer avec la Dynastie d’Arthegon en 147 AB, établissant des relations commerciales durables.