Même après tant d’années de cohabitation avec le peuple humain, une partie de la population elfe ne voyait pas d’un bon œil la trêve avec les nations ennemies. Ils dénonçaient ses alliances forcées comme une preuve de faiblesse, et à Kluzze en particulier les réfugiés de guerre étaient accusés d’ingratitude envers l’accueil qu’offrait la chanoinesse Saradrezza. L’emploi de la langue commune devenait de plus en plus courant et facilitait les échanges, mais cette invention était également vue comme un métissage grossier mettant en péril la culture elfique.
Même si de nombreux elfes plus jeunes nés dans les souterrains ne portaient pas dans leur mémoire la même rancœur, la longévité des aînés préserva la haine envers les dénéliens. Il se sentaient envahis par tous ces non-elfes qui rôdaient librement sur leur terre durement acquise. Que signifiait être un elfe dans ces conditions? Gaela aurait-elle cessé de les guider dû à l’influence de ces perturbateurs? De plus, les elfes originaires de Kluzze ayant vécu pendant plusieurs générations sous terre présentaient alors des mutations ayant drastiquement altéré leur apparence : leur peau, auparavant tirant sur le gris, s’était noircie, et leur cheveux avaient blanchi. Cette distinction physique devint le premier marqueur qui annonça les clivages qui s’annoncaient.
Cela faisait deux années que les premiers aventuriers avaient amorcé la Reconquête de la Surface. Les Chasseurs des Ombres au retour de leurs expéditions mirent en garde les nations elfiques : il fallait vite s’organiser car les guildes s’appropriaient de jour en jour leurs terres séculaires. Une grande assemblée des représentants de la Confédération Elfique fut convoquée, rassemblant la Maison de Kluzze, des druides de Brizh’Sehl, deux chefs de tribus survivantes d’Atiavard ainsi que des haut-sénateurs d’Aelom’sehl. Le but premier de cette audience était de planifier leur reconquête, mais rapidement les débats prirent une autre direction : fallait-il réellement à tout prix reformer le Sénat de la cité d’Albâtre? Pourquoi Kluzze ne pouvait-elle pas devenir la nouvelle capitale politique et spirituelle des elfes? La suite fut un bras de fer féroce entre les représentants deffael, nouveau nom donné aux elfes des profondeurs, et les aylonael, chacun accusant l’autre d’avoir trahi le peuple : les premiers dénonçant une compromission avec les humains, les seconds d’embrasser une dérive autoritaire nuisible au bien commun. Les druides et les chefs tribaux furent complètement dépassés par la discussion, et par prudence ne se prononcèrent pas dans ce litige jugé futile. Après des heures de délibération, l’assemblée fut dissoute sans avoir pu parvenir à un quelconque accord.
On parla de ce jour comme celui du Schisme elfique, ce même jour où les liens des membres de la Confédération furent brisés en silence. Les deffael décidèrent de rester sous terre, refusant de s’ouvrir à un monde qui rejetait leurs valeurs aux profit d’une vie déshonorante à la botte des humains. Les réfugiés et les étrangers ne furent plus les bienvenus dans leur ville, ceux qui partirent vivre à la surface ne purent jamais y revenir. Les aylonael, eux, lancèrent leur reconquête seulement à partir de 45 AB après avoir pris le temps de parlementer de la restructuration de leurs forces armées, maintenant qu’ils étaient privés de leurs anciens alliés. Cela retarda drastiquement leur progression, et ils perdirent beaucoup de terrain face aux aventuriers. Cependant ils parvinrent à rebâtir une ombre de leur ancien modèle de société elfique en récupérant Aelom’Sehl. Certains vardael voulant se désolidariser des grandes puissances en perdition se frayèrent un chemin vers leurs forêts sauvages, pour y vivre une vie plus simple et plus proche des mœurs de leurs ancêtres. Ce schisme nourrira encore longtemps des tensions entre les elfes, même à la période de l’Équilibre. C’est un des nombreux facteurs qui favorisera la déchéance de leur influence sur le monde, pour laisser place à l’Hégémonie Humaine.