L’événement commémoratif du Concordat de la Réconciliation invita en 100 PB l’ensemble des représentants politiques des deux camps de la Grande Guerre à la ville de Jevo, à Cardagnan. Ce qui devait être un rassemblement solidaire en l’honneur des combattants morts au combat se transforma en un guet-apens diplomatique à l’encontre du Sénat d’Aelom’Sehl, à qui il fut reproché d’avoir été les instigateurs du conflit.
Suite à son accession et à la destitution de son demi-frère en 83 PB, le roi Sargisnold entreprit de rétablir le royaume de Larth encore meurtri par des années de Terreur pendant l’Inquisition. Il lui fallait trouver un moyen de redorer l’image de la couronne salie par la Croix, non seulement pour redonner espoir à son peuple, mais également pour effacer la mauvaise réputation laissée par les dérives du roi Denavarr. Quand il eut vent en 95 PB que le royaume de Cardagnan entamait les préparatifs d’une grande célébration du premier centenaire depuis la fin de la Grande Guerre en l’honneur du duc Jevo, le roi de Larth proposa en personne à Cathorin le Doux d’en faire un événement au nom de la paix entre les peuples survivants de la Brèche. Le roi vieillissant de Cardagnan se laissa convaincre, au nom de l’ancienne Alliance des peuples de Denel, et des invitations furent envoyées par émissaires à tous les dirigeants des pays de la Reconquête.
En réalité, Sargisnold cachait une autre motivation derrière ce grand événement : placer au yeux du monde en tant que vainqueur de la Grande Guerre l’alliance dénélienne, au détriment du Sénat d’Aelom’Sehl. Le conflit qui avait remué tout le continent s’était interrompu par le cataclysme de la Brèche, sans conclusion victorieuse pour aucun des camps. Afin de mettre à l’œuvre son plan, le roi de Larth prospecta dans tout son royaume afin de trouver la personne qui sera capable d’orchestrer ce tour de force. C’est finalement dans un des États vassaux, à Estradhiorn, qu’un fin diplomate du nom d’Arman de Playsan fut désigné par le monarque.
Du côté d’Aelom’Sehl, la situation était déjà fragile, bien qu’en voie d’amélioration. L’engagement tardif des troupes elfiques pour la Reconquête ne leur permit que de récupérer une partie de Drymvarden, la forêt primordiale qui abritait la Cité d’Albâtre. Tous les territoires aux abords des côtes de la mer alboréenne avaient déjà été réclamée par les guildes d’aventuriers au nom du Droit du Pionnier. Face à cette défaite, le Sénat décida de jouer la prudence en s’abstenant de contester la légitimité de ces nouveaux pays, afin de ne pas répéter les erreurs commises lors de la Revendication de la Terre de Ancêtres. Avec les divisions populaires qui se sont accentuées depuis le Schisme Elfique en 34 AB, le nouveau Sénat avait décidé de trouver une nouvelle voie pour la Confédération, en condamnant sévèrement les ravages causés par les idées suprémacistes propagées par Lom’Glaban.
Les pays fondés par les guildes virent dans l’invitation au Concordat une opportunité de consolider leur légitimité diplomatique et territoriale, en participant à une cérémonie officielle aux côtés des grandes puissances traditionnelles de Grimm. Si bien que la majorité d’entre eux répondirent présent lors de l’événement, tout particulièrement ceux du bassin alboréen.
Préparé de longue date, le concordat se déroula sur trois jours à Jevo, la capitale de Cardagnan. Cathorin ayant fini ses jours une année auparavant, c’est le nouveau roi Andorin de Cardagnan qui reçut les représentants de chacun des pays invités. Le roi Sargisnold se déplaça de Larth en personne avec sa suite, et ce fut la haute-sénatrice Ularorra qui fut dépêchée d’Aelom’Sehl accompagné de membres de sa chambre. Pour ne citer que quelques autres des illustres convives qui rendirent au Concordat, nous pouvons noter la présence de l’archiduchesse Louisa de Bubon pour représenter Lavenden, le marchand Vestran Terreville venant de Cesteras, l’intendant Dorman Rogart représentant les Unions des Monts Benadhun, la Sage Elagora de Sennep provenant d’Yrdhin, ou encore le duc Gresha de Bornakh qui s’était lui même invité en tant qu’émissaire d’Arbhelai.
Le premier jour fut consacré à la mémoire des soldats tombés sur les champs de batailles de la Grande Guerre. C’est à partir du second jour que la stratégie conçue par Arman de Playsan commença à se mettre en place. Il s’était établi depuis un peu plus d’une année à Jevo pour prendre part à l’organisation des festivités, en tant qu’allié de Larth. Il s’était arrangé avec l’aval du roi Andorin pour qu’une assemblée de délibération, dont il serait le médiateur, soit organisée en l’honneur de la paix au nom du duc Jevo, qui avait succombé pour la préserver. Le diplomate calculateur s’arrangea pour que la haute-sénatrice Ularorra ne sache pas qu’il s’agissait en réalité d’un débat public autour de la Grande Guerre. Cette discussion animée démêla les affaires de responsabilité dans ce conflit, qui ne tarda pas à mettre en cause les tensions provoquées par la Revendication de la Terre des Ancêtres. Ne s’étant pas préparée à se retrouver ainsi acculée, l’argumentaire de la représentante du Sénat elfique ne parvint pas à défendre la position d’Aelom’Sehl, d’autant plus que la majeure partie de ses interlocuteurs avaient tout intérêt à imputer aux elfes la guerre qu’ils avaient eux-même déclarée. Arman de Playsan profita de la tournure du débat pour employer toute sa verve afin de pousser insidieusement la sénatrice à bout, qui finit par quitter la table avec fracas sur le coup de l’indignation.
C’était exactement l’issue que recherchait le diplomate estradhiornien, car maintenant Ularorra devait répondre de l’affront qu’elle avait causé envers la mémoire du duc Jevo en tant qu’invitée de marque de Cardagnan. Afin de laver son honneur et prouver les intentions pacifistes du Sénat d’Aelom’Sehl, la haute-sénatrice fut contrainte de signer un traité de paix avec les autres nations présentes. Les termes de celui-ci étaient fortement défavorables pour son pays, qui fut déclaré débiteur pour les traumatismes de la Grande Guerre, et engagea Aelom’Sehl à verser des compensations importantes aux royaumes de Saûne. De plus, le traité décréta comme immuables les frontières des pays reconquis, ce qui enleva toute possibilité future de reprise territoriale au Sénat.
Cette déconvenue pour le Sénat elfique fut un facteur important du déclin de l’influence d’Aelom’Sehl sur les siècles qui suivirent, tout en permettant de rallier tous les autres pays autour d’un bouc émissaire d’agrément. Le traité du Concordat de la Réconciliation devint la base de la stabilité diplomatique qu’on connut durant la période de l’Équilibre, ainsi que le terreau qui permit de lancer l’époque de l’Hégémonie Humaine.