Kham’ragash est sans conteste le plus terrible des pirates que les eaux de Grimm n’aient jamais connu. Né esclave, cet orc vécut son enfance non loin de Tarfiss, ville portuaire qui sera renommée Vil-Bec lors de la Reconquête de la surface. Alors qu’il n’était encore qu’un enfant, il fut tatoué selon les rites locaux de glyphes sacrés au sanctuaire de Vilmel, afin d’être purifié de toute ambition autre que la dévotion envers Gaela. Il fut alors éduqué et servit les prêtres en tant que copiste. Ce n’est qu’à l’adolescence que son esprit vif et insoumis se dévoila, et qu’il sema le trouble au sanctuaire par ses actes de rébellion. Afin de rétablir la paix du lieu saint, et pour calmer ses ardeurs, le Grand prêtre décida de le vendre à un armateur qui le fit embarquer sur une galère marchande en tant que rameur. Le calvaire du jeune orc ne prit fin que quelques années plus tard, quand le navire tomba sous l’assaut de pirates dénéliens. Kham’Ragash rejoignit alors les rangs des forbans et put alors enfin construire sa légende. Il devint plus tard capitaine en capturant son propre navire, une caraque du nom de l’Aubéron ayant appartenu à la flotte d’Aelom’Sehl.
Il sema ensuite la terreur chez les autorités navales de Grimm, notamment sur les Côtes de Brumes où il était particulièrement actif. Il attaquait notamment les « sanglières », afin de libérer les esclaves qu’elles transportaient. La plupart des navires prenaient la fuite à la seule vue de son pavillon noir représentant un crâne pourvu de défenses de sanglier. On dit qu’il n’a jamais été vaincu en mer, et qu’il utilisait la magie noire pour commander les vents ou pour disparaître sous un manteau de brume surnaturel.
Sa terrible réputation le disait insaisissable, ce qui rendit la nouvelle de sa capture par la flotte larthaise en 54 AB d’autant plus choquante. Certains disaient qu’il avait été trahi par son équipage, d’autres qu’il s’est rendu de lui-même. Pendant qu’il croupissait dans un cachot sur l’Île de la Potence, les dirigeants de Larth et d’Aelom’Sehl se disputèrent la question de son exécution. Le Sénat elfique voulait faire un exemple de cet esclave ayant sali pendant toute sa vie la bénédiction reçue de Gaela. Le roi Ebhan, de son côté, était trop content de pouvoir s’imposer face aux elfes en décevant leur attente Il décida donc d’une mise à mort en territoire dénélien, à laquelle le Sénat serait convié. C’est donc après quatre années d’emprisonnement que le flibustier fut amené à Port-Loharn pour rencontrer sa fin en 50 AB. Son exécution publique fut organisée en grande pompe afin de montrer la force des autorités navales dénéliennes, et la foule massive qui s’y pressa comptait des personnes issues de tout le continent de Grimm.
Il pleuvait abondamment ce jour-là, mais on raconte que lorsque le pirate de légende monta sur l’échafaud, les nuages s’écartèrent en baignant la place d’un doux soleil. Le corps dénudé de Kham’Ragash affichait éhontément les marques sacrées de Gaela profanées de nombreuses cicatrices, il se tenait droit et fier en attendant sa pendaison. Juste avant que le nœud se resserre autour de son cou, il cria à la foule ces simples mots : « Le vent reconnaît mon nom, et il soufflera encore! ». C’est à ce moment là que le chaos vint troubler la pompeuse cérémonie : des pirates infiltrés firent voler au vent le pavillon funeste du capitaine supplicié. Des dizaines de drapeaux noirs dissimulés furent brandis dans la foule exaltée, alors que d’autres étaient pendus à la plupart des fenêtres donnant sur la place. L’insulte au pouvoir royal était de taille, mais la réaction des autorités fut menée dans la confusion. La garde en poste ne sut contenir la débandade qui suivit sur la place du port. Kham’Ragash afficha un sourire triomphal alors que la trappe s’ouvrit sous ses pieds, et la pluie revint quand il rendit enfin son dernier souffle.
La mise à mort qui devait ramener la paix sur la mer fut retenue comme une indécente débâcle des autorités royales et sénatoriales. Beaucoup furent touchés par le sort de cet orc qui avait lutté contre son propre destin, défiant les dieux mais aimé par la mer. On jura alors qu’il s’était volontairement laissé prendre pour transformer sa mort en symbole. L’idéal de Kham’Ragash, relayé par ses anciens membres d’équipage, se propagea comme une traînée de poudre et donna un nouveau visage à la piraterie. La mission libératrice du pirate légendaire se transmit alors, et fit souffler sur les océans un vent de révolte encore plus redoutable : un âge d’or de la piraterie venait de naître.
Bien que cet idéalisme flibustier fut grandement étouffé par la Brèche et par l’embourgeoisement qui fonda les baronnies d’Arbhelai, il connut un nouveau souffle quand une nouvelle société pirate vit le jour sur l’Île de Kanène en 388 PB. Les pirates d’Audassio devinrent alors les héritiers du rêve de liberté porté par Kham’Ragash.