La Brèche fut le nom donné à un cataclysme de grande ampleur qui marqua à jamais le continent de Grimm. Il fut causé par l’ouverture soudaine et simultanée de failles entre les plans d’existences, libérant des hordes de monstres qui envahirent la surface du continent. La catastrophe fut telle qu’elle bouleversa la réalité elle-même et impacta durablement le monde.
La Brèche éclata au moment où la Grande Guerre faisait encore rage. De nombreux affrontements se disputaient entre le camp elfique et l’Alliance des royaumes de Denel. Les nains avaient également pris part au combat, bien qu’ils aient veillé à signer un pacte de non-agression avec les elfes de Kluzze afin d’éviter d’amener le champ de bataille dans leur foyer souterrain. Le développement militaire qui avait accompagné les Accords de Fer fit de cette guerre la plus violente encore jamais vue en Grimm. L’empire de Shaar s’était isolé sur le plan diplomatique en fermant totalement ses frontières par une grande muraille, afin d’éviter de s’impliquer dans ce conflit qui ne les concernaient guère.
Bien que cette apocalypse prit le monde par surprise, la Brèche avait malgré tout été pressentie par certains, notamment de rares individus qui pratiquaient la magie et certains religieux. Comme ces personnes étaient encore marginalisées à l’époque, aucune recherche ni mesure n’ont été entreprises par les grandes puissances, mais certaines communautés étaient mieux préparées. C’était par exemple le cas des cercles de druides de la forêt de Brizh, qui se sont alliés aux fées pour protéger leur foyer. Les chamans orcs des Landes Croupies avaient également perçu des signes avant-coureurs de la catastrophe.
On raconte que quand la Brèche survint, on vit le ciel se déchirer. Des hordes de monstres envahirent les champs de bataille de la Grande Guerre, et décimèrent des régiments entiers. Pour protéger leur peuple, le roi Clodimarr de Larth et la reine Helma de Saûne joignirent leurs forces et tendirent un piège à une terrible aberration qui corrompait tout sur son passage. Ils y perdirent la vie, mais leur sacrifice permit de prévenir des dommages irréversibles sur Grimm et d’assurer la retraite de milliers de survivants. Dans tous les pays, les villes et villages furent ravagés, provoquant des mouvements de panique au milieu du chaos. Certaines créatures planaires, qu’on nommera les engeances, succombèrent rapidement car elles étaient inadaptées à ce nouveau plan d’existence. Mais les engeances survivantes étaient nombreuses, et semèrent la destruction sur toute la surface de Grimm.
Beaucoup des survivants des royaumes dénéliens et de la confédération elfique prirent la route en direction des Monts Benadhun afin de trouver refuge dans les souterrains de ses montagnes. Certains parcoururent les routes en essayant d’éviter les engeances sur leur chemin pour atteindre les entrées des galeries naines, d’autres parvinrent à s’embarquer sur un navire qui leur permit de rejoindre les montagnes par les commissures du sourire de Zamena.
Ces importants mouvements migratoires provoquèrent rapidement une surpopulation des galeries des Monts Benadhun. Ils étaient d’une telle ampleur que ni les nains, ni les elfes de Kluzze ne parvinrent à en contrôler l’afflux, ce qui amena les souterrains à saturation même après avoir refoulé de nombreuses personnes et scellé la plupart des entrées connues. Des communautés de petites personnes risquèrent également leur vie afin d’acheminer du bétail et des graines sous terre.
Cette débâcle enchaîna sur des arrangements diplomatiques qui lancèrent un grand chantier d’excavation afin de créer des refuges pour les sinistrés de la surface. Ces abris rudimentaires permirent certes de loger une grande partie des populations meurtries, mais les conditions de vie y étaient extrêmement précaires et furent à partir de 4 PB le foyer d’épidémies de peste.
Une partie de la population de Grimm n’eut pas la possibilité de rejoindre les Monts Benadhun, et durent faire face à l’invasion des engeances pour survivre. Les orcs habitants les montagnes de Rohzok’krehl et des Landes Croupies parvinrent à subsister tant bien que mal en utilisant leur grande connaissance du terrain. Les pirates de l’archipel nord-ouest s’organisèrent en flottes afin de libérer des îles infestées d’engeances pour s’y installer. Les moines du Mont Kuraò tirèrent profit de leur avantage stratégique sur la montagne afin de mener bataille pour protéger le monastère Gaòddin. Les tribus elfes d’Atiavard, en revanche, subirent les assauts de plein fouet, seules un petit nombre d’entre elles ne furent pas décimées par les engeances.
Mais ceux qui parvinrent plus efficacement à survivre à la surface quand la Brèche se déclara fut un groupe d’infortune qui se réfugia dans les ruines d’une ancienne forteresse naine qui fut nommée alors Espoir. En grande partie composé initialement de personnes qui furent reconduites des souterrains de Benadhun, cette communauté hétéroclite se mua par nécessité en une société solidaire qui continua d’accueillir ceux qui parvenaient jusqu’à eux. Sur toute la durée du Confinement, ils parvinrent avec leurs guerriers à reprendre aux engeance des terres qui devinrent le pays de Ramparr.
Le cas de l’empire de Shaar concernant la Brèche est entouré de mystère. Au moment où le cataclysme se déclara, l’entièreté des habitants de l’empire se volatilisa soudainement. La légende dit que le dieu-djinn Al Barteesh s’était allié avec Ibleh-Zaar pour sauver le peuple koshari en les emmenant à l’abri dans le monde des djinns, dans un profond sommeil de vingt mille et une nuits. Ce n’est qu’en 52 PB que réapparurent les shaari alors que leur désert natal était débarrassé des engeances, supposément vaincues par les djinns.
Cette intervention mystique permit au peuple koshari d’éviter le traumatisme de la Brèche, à la différence des autres peuples. Cette dissonance historique provoquera par la suite de nombreuses discordances diplomatiques entre Shaar et les pays issus de la Reconquête.
La catastrophe générale causée par la Brèche transforma fondamentalement le visage de Grimm et la vie des peuples qui y vivaient. La population du continent fut en quelques instants considérablement réduite. Que ce soit d’un point de vue des relations diplomatiques entre les pays défaits ou les aspects environnementaux, le monde a dû se trouver une nouvelle définition pour pouvoir survivre à une ère nouvelle.
En trente années de Confinement partagé, les échanges entre les réfugiés des Monts Benadhun ont progressivement donné naissance à une culture commune entre les différents peuples. La nécessité de l’entraide imposa de trouver des moyens de communiquer, ce qui déboucha sur l’élaboration de dialectes hybrides qui motiva la reine Jinerva de Larth de rassembler les autres dirigeants pour faire officialiser cette nouvelle langue en 27 PB. C’est à ce moment-là qu’un système monétaire harmonisé ainsi qu’un calendrier commun fut créé, prenant comme point d’origine le fatidique jour de la Brèche.
De nouvelles croyances se développèrent également. Du côté de Kluzze, on accusa les pratiquants de la magie comme responsables des fissures de la Brèche. Un ordre guerrier fut alors instauré par la chanoinesse Saradrezza afin de chasser les engeances et pour réprimer tous ceux qui s’adonneraient à l’occulte. C’est aussi dans les souterrains que l’Église de la Croix, dont les préceptes étaient un réconfort pour les réfugiés miséreux, connut un essor fulgurant.
Le Confinement fut également l’occasion de développer des nouvelles technologies, dont la plus notable fut la poudre noire. Initialement maintenue au stade expérimental, en vue de créer de nouvelles armes pour la Grande Guerre, elle fut finalement employée comme explosif sur les chantiers des refuges, ce qui permit d’accélérer fortement l’excavation. C’est grâce à cette utilisation que la formule chimique fut enfin maîtrisée et que les premières armes à feu firent leur apparition, vendues initialement comme armes de défense contre les engeances.
L’irruption de la Brèche fit table rase de toutes les frontières jusque-là établies, ce qui donna par la suite l’occasion de redéfinir les territoires. En 8 PB, une flotte importante de navires madhurois s’échouèrent sur la partie nord du continent. La Brèche fut terriblement violente à Madhur, si bien que de nombreux rescapés n’eurent pas d’autre choix que d’abandonner leur dieu-terre dans l’espoir de survivre ailleurs. Ceux qui atteignirent Grimm trouvèrent des terres glacées, mais peu peuplées de monstres et décidèrent de s’y installer et d’appeler cette nouvelle terre Valorim. Ils formeront par la suite les pays de Valor, Azargirn, et Kaldinurr.
Sur la deuxième moitié du Confinement, la volonté de reprendre les terres de la surface s’empara des esprits des réfugiés des Monts Benadhun. C’est à partir de cette époque que l’on vit apparaître les premières guildes d’aventurier, dont la mission était de préparer la Reconquête de la Surface.
L’agression cosmique provoquée par la Brèche entraîna des conséquences sur la fabrique même de la réalité. Depuis que le monde s’est déchiré, la définition du monde semble s’être affaiblie. La magie est devenue à la fois plus puissante et plus aisée à manipuler, mais sembla aussi plus instable et dangereuse.
On identifia une forme de pollution occulte qui affectait la faune et la flore de Grimm, qu’on appela la Corruption de la Brèche. Ce phénomène semblait être à l’origine des mutations monstrueuses observées chez des animaux communs, et même chez certaines créatures magiques. Presque toutes les failles qui jaillirent pendant la Brèche se refermèrent au bout de quelques années, mais certaines zones sur le continent semblèrent ne pas parvenir à totalement cicatriser. Ces fissures ont un fort impact sur l’environnement et sont considérées comme inhabitables.
Ces phénomènes étranges seront plus largement étudiés à partir de la fondation de l’Académie Arcane d’Avilonn, qui permit avec le temps de grandes découvertes permettant de percer certains mystères à propos de la Corruption de la Brèche. L’un des aspects identifiés fut la porosité planaire, qui permit de développer plus tard l’art de l’invocation.