L’histoire du Massacre du Bosquet commence par un ostracon brisé, exhumé des vestiges d’un ancien bivouac elfique. C’est l’archéologue vardael Syrianoc qui en fit la découverte, alors que son expédition explorait les Landes Croupies, en 346 AB. Sur place, il mit au jour les ruines d’habitations de facture elfe, nichées dans ce qui semblait avoir été un bosquet, plus de trois siècles auparavant.
Bien que rédigé en elfique ancien, Syrianoc parvint à déchiffrer les inscriptions gravées sur l’ostracon. Elles reproduisaient presque mot pour mot la dernière strophe de la fable Le Cerf et les Lucioles, une œuvre classique particulièrement populaire. Convaincu qu’une partie de la poterie manquait, l’archéologue poursuivit les fouilles, mais aucune trace complémentaire ne fut retrouvée. Ce fut en élargissant la zone d’exploration qu’ils mirent au jour un corps, conservé dans une tourbière. Son aspect était difforme, noirci, effrayant. Pourtant, à y regarder de plus près, sa dentition rappelait étrangement celle d’un orc.
Lorsque Syrianoc rentra à la Cité d’Albâtre pour présenter ses découvertes et suggérer un lien entre l’ostracon et la célèbre fable, il fut accueilli avec scepticisme.
Mais il ne s’en tint pas là. Il lui fallut plusieurs années pour remonter la trace du fabuliste à l’origine de l’œuvre. Celui-ci, un aylonael décédé depuis quelques décennies, ne pouvait plus répondre lui-même. Syrianoc interrogea donc ses descendants, dans leur domaine. Ceux-ci ne lui apprirent rien de plus que ce qu’il savait déjà. C’est en s’adressant aux esclaves de la maisonnée qu’il fit une découverte inattendue. Il semblait que le maître n’était guère créatif, et s’inspirait des songes d’un jeune orc esclave, qui les transcrivait avec un talent remarquable. Poussant son enquête plus loin, et abusant de l’hospitalité de ses hôtes, Syrianoc s’introduisit dans le boudoir privé du grand-père, où il découvrit la version originale de la fable, rédigée par l’orc.
Le texte portait un autre titre : Le Massacre du Bosquet. Il racontait l’histoire d’une tribu elfe ayant élu domicile dans un bosquet sacré, au cœur d’un marécage. Ils y découvrirent des feux volatiles, qui semblaient dotés d’une vie propre. D’abord émerveillés, les elfes observèrent ces créatures avec révérence, et décidèrent de s’installer dans ce lieu enchanté. Mais un jour, ils apprirent la véritable nature de ces lumières dansantes : des entités féeriques. Poussés par la soif de pouvoir, ils cherchèrent à les capturer, pour s’approprier leur magie. Ce sacrilège leur valut une malédiction irréversible. Les lumières, probablement des feux follets, dépérirent en captivité. En représailles, l’esprit protecteur du bosquet transforma les elfes en bêtes sauvages, semblables à des sangliers. Pris de folie, ils s’entretuèrent, et beaucoup furent engloutis par les marais. Bien que le récit diffère largement de l’interprétation allégorique écrite par le maître du jeune orc, la dernière strophe, elle, resta inchangée.
Pour Syrianoc, il n’y avait plus de doute : cette fable racontait en réalité la transformation d’un groupe d’elfes avides en orcs. Il publia alors une théorie émergente, démontrant que ce récit pourrait décrire l’origine des orcs sur Grimm. Sa publication fit grand bruit sur tout le territoire d’Aelom’Sehl. Le Sénat, alarmé, adopta rapidement une loi interdisant la diffusion du travail de Syrianoc, ce qui paradoxalement ne fit qu’attiser la curiosité du public. De nombreux érudits et philosophes, majoritairement vardael, défendirent sa théorie dans leurs cercles. En revanche certains clercs l’interprétèrent comme une manifestation de Kain l’Aelom déchu, ce qui renforca la réputation impure des orcs pour une partie de la population. Malgré cela, l’idée selon laquelle les orcs pourraient partager une origine commune avec les elfes, et donc prétendre aux mêmes droits que les vardael ou les aylonael selon la Déclaration du Droit Naturel fit son chemin. Elle sema les graines d’une révolte qui éclatera deux ans plus tard, en 344 AB.