Après plus de trente années de Confinement, il vint enfin le temps pour les peuples réfugiés des Monts Benadhun de prendre les armes pour reprendre aux engeances le continent de Grimm. Cette Reconquête débuta sur l’initiative des premières guildes d’aventuriers en 32 PB, et cette entreprise militaire de grande ampleur fut à l’origine de la création d’une multitude de nouveaux pays jusqu’en 114 PB.
À partir de la deuxième moitié du Confinement, on observa de fortes tensions monter entre les différentes communautés réfugiées des souterrains. L’accroissement constant de la population et le manque de ressources créa des conflits de plus en plus virulents, que les Chasseurs des Ombres et l’Union de l’Égide ne parvenaient plus à contenir. Cette saturation claustrophobique des galeries qui semblait alors inextricable éveilla chez beaucoup l’envie de revivre à la surface, quitte à se battre. Cette flamme nostalgique fut vraisemblablement ce qui donna naissance aux premières guildes d’aventuriers, formées dans le but de mener des expéditions à l’extérieur en vue d’un assaut aux engeances qui hantaient la surface.
Du côté des anciennes grandes puissances d’avant-Brèche, la reconquête se préparait non sans entraves. L’ancien royaume de Saûne était alors en pleine incertitude sur la succession du pouvoir. Du côté de Larth, la pacifique reine Jinerva commençait à perdre de son influence. Le peuple elfique était alors désuni et ce qui restait du Sénat ne parvenait pas à mettre en place de stratégie.
C’est aussi là qu’on vit les premiers usages des armes à poudre noire, développées durant les dernières années. Beaucoup voyaient dans cette avancée technologique le moyen d’inverser le rapport de force, et de prendre le dessus sur les hordes de monstres qui les attendaient dehors.
Les premiers actes de reconquête furent l’œuvre de grandes guildes d’aventuriers postées à Sarken. Les premières annexions territoriales pressèrent les anciennes grandes nations à agir, en mettant leurs armées en mouvement peu de temps après. Une convention implicite que les guildes nommaient le Droit du Pionnier, désignaient les forces conquérantes comme détenteurs légitimes de terres récupérées. La Reconquête de la Surface se poursuivit jusqu’en 114 PB, quand la quasi-totalité du continent fut réclamée.
Sarken était initialement un hameau souterrain qui se développa rapidement quand une sortie extérieure non régulée fut découverte à proximité. Beaucoup de guildes d’aventurier y installèrent leur base d’opérations, si bien que la petite bourgade devint rapidement une ville composée de nombreuses organisations indépendantes. C’est de là que se lancèrent les premières expéditions de reconnaissance autour des 31 PB. Ces groupes d’aventuriers découvrirent avec grand étonnement qu’un pays se trouvait au-delà des montagnes, et firent la rencontre des ramparrois. Les premiers échanges furent abrupts, mais un conglomérat de guildes parvint au travers d’émissaires à négocier le déplacement de leurs troupes sur le territoire de Ramparr. C’est ainsi que la grande guilde de Cestères parvint en 32 PB à lancer les premiers assauts contre les engeances en direction de l’est, et fonda Cesteras au prix de durs efforts quatre ans plus tard.
Alors que de nombreuses guildes se postèrent à Cesteras pour préparer la suite de la reconquête, une guilde située du côté nord-ouest des montagnes fit parler d’elle. Les Hérauts d’Umhevar fut la première guilde à obtenir l’autorisation de Kluzze d’utiliser ses tunnels afin d’entamer la conquête des anciens territoires yrdotes en 42 PB. Cet arrangement encouragea beaucoup d’aventuriers à rejoindre leurs rangs, et le pays de Yrdhin fut fondé en 48 PB. À partir de 59 PB, une alliance de plusieurs guildes parties de Cesteras se lança à la reconquête des territoires à l’est du nouveau royaume d’Esbhaal, qui déboucha à la fondation de Kednoss en 64 PB et de Strabia en 68 PB. Au nord-ouest du continent les guildes poursuivirent leur progression en fondant Offeuln en 82 PB et Homble en 86 PB. L’extrémité de la péninsule sera libérée plus tard en 104 PB et deviendra le pays de Pahède. En 108 PB, c’est Remoll qui achèvera la conquête de son territoire sur le continent, et s’appropriera ensuite l’île de Kanène en 114 PB.
Après avoir eu vent des opérations de reconquête menées par les guildes d’aventuriers, les quatre jeunes prétendants à la couronne de l’ancien royaume de Saûne se mirent en mouvement pour ne pas être pris de court. Ils établirent une trêve à la guerre de succession afin de regrouper leurs effectifs dans un effort commun. C’est donc de concert que Rédérica de Chagneux, Augusta de Roabeuge, Cathorin de Cardagnan et Charlène de Saûne formèrent une armée de conquérants, qui se mit en marche en 33 PB en négociant un passage par l’est des Monts Benadhun avec les Unions naines. Les débuts de la reconquête furent plus laborieux du côté du royaume de Larth, et ne put s’amorcer qu’au moment où la princesse Enya prit la régence du royaume en 34 PB. Afin de récupérer leurs anciennes terres, les armées de Larth tentèrent de se frayer un chemin au sud des Monts, mais furent rapidement bloquées par les ramparrois. Ce blocus orchestré sous forme de guérillas fut si efficace que la reine Enya, consciente du retard de Larth sur la Reconquête, concéda en signant un traité particulièrement avantageux pour les ramparrois en 35 PB. Les forces larthaises parvinrent donc à conquérir leurs premiers territoires à partir de 36 PB.
En 38 PB une nouvelle entité vint dynamiser l’expansion des royaumes dénélien. L’église de la Croix approcha la reine Enya par le biais du duc Tybalt d’Esbaahl, pour leur proposer un soutien militaire en mettant à disposition leurs paladins de la Légions de l’Aube. Malgré les réticences initiales d’Enya, nées de sa foi pour Eognus, la reine accepta ses renforts providentiels qui permirent une poussée fulgurante qui amena à la reprise de la cité de Kamlorn en 44 PB. Il fut accordé pour son mérite au duc d’Esbaahl de fonder sa propre principauté avec le soutien de la couronne de Larth, qui fut fondée en 47 PB. Les Légions de la Croix furent également introduites aux armées des prétendants de Saûne, par le biais des confréries qui les soutenaient. Les troupes alliés de Saûne atteignirent la mer alboréenne en 46 PB, ce qui leur permettront par la suite de déplacer leurs troupes par navire.
En 58 PB, alors qu’une grande partie des anciennes terres du clan Osimor était acquises, la reine Enya confia à trois capitaine-chevaliers de poursuivre en son nom la conquête des territoires larthais : Pyer le Prompt, Jeremias de Baumont et Andrée la Grande. Ce fut l’un de ses derniers gestes en tant que suzeraine, car elle succomba à la maladie en 61 PB et ce fut son fils Denavarr qui assura la succession. Celui-ci se laissa convaincre par les représentants de l’Église de la Croix, et c’est en se détournant d’Eognus que l’Inquisition vit le jour dès sa première année de règne. En 73 PB, Andrée la Grande conquit le premier État vassal au sud-ouest qui fut nommé Varn. Deux années après, c’est Estradhiorn qui fut fondé en 75 PB grâce aux efforts militaires de Pyer le Prompt, suivi de près par le petit fief d’Esk-Val conquis par le comte Chambain de Esk en 78 PB. Abradhiorn fut fondé en 81 PB en tant que pays indépendant suite à la trahison envers Jeremias de Baumont par ses propres troupes.
Quand les armées de Saûne atteignirent les contrées nord de l’ancien royaume autour des 70 PB, ils durent se confronter aux guerriers des clans valorois qui y avaient élu domicile pendant le Confinement. Ce fut vers cette époque que fut réglée la question de la succession de Saûne et que quatre principautés distinctes furent établies en 76 PB entre les quatre prétendants, qui étaient alors frères et sœurs d’armes de longue date. Les forces armées du royaume renaissant parvinrent à chasser les occupants madhurois et acheva sa Reconquête en 97 PB.
Le Sénat elfique était ralenti à la fois par les divergences d’opinion qui le tiraillaient et les relations diplomatiques fragiles avec la chanoinerie de Kluzze, alors en position de force en tant qu’hôte sous les Monts Benadhun. C’est en constatant l’urgence qu’impliquaient les efforts de reconquête par les guildes et les royaumes humains qu’un haut-sénateur du nom de Larshen Gilar parvint enfin à faire voter un consensus par l’ensemble des chambres en 45 PB. Afin de pouvoir déployer leur forces en direction de la Cité d’Albâtre dans les meilleurs temps, le Sénat ajouta sa signature au Traité de Ramparr. Les armées elfes entamèrent donc dès l’année suivante la reconquête de la forêt de Drymvarden, et reprirent la Cité d’Albâtre en 53 PB.
Après avoir repris tout son territoire forestier jusqu’au lac Atiauel autour des 78 PB, le Sénat ne put que se désoler de voir que les territoires côtiers de la mer alboréenne avaient déjà été depuis longtemps réquisitionnés par les guildes d’aventuriers. Le territoire d’Aelom’Sehl s’en retrouva donc très réduit. Atiavard fut progressivement réinvesti par de nouvelles tribus vardael à partir de 91 PB, qui finirent par occuper l’ensemble du territoire en 105 PB.
Cette reprise progressive et partagée des territoires de la surface a eu pour effet de redessiner fondamentalement les frontières politiques de Grimm. Les annexions menées par les guildes d’aventuriers ont créé une multitude de pays, morcelant durablement le continent. On trouve dans ces nouvelles nations des cultures diverses et de systèmes politiques inédits, qui complexifient désormais les dynamiques diplomatiques à l’échelle du continent.
Si l’on pouvait par le passé résumer le paysage géopolitique d’avant-Brèche par la confrontation entre les royaumes dénéliens et la confédération elfique, les nouvelles forces politiques implémentées par les aventuriers viennent neutraliser cette dichotomie. Ces évolutions ont aussi fortement contribué à forger une culture commune entre les différentes races de Grimm, car on observe également dans ces nouveaux pays une grande mixité.Les anciennes grandes puissances durent s’adapter à ces changements, et accepter la légitimité de ces pays en vertu du Droit du Pionnier. Bien que certains dirigeants aient envisagé de revendiquer d’anciens territoires, les cicatrices encore vives de la Grande Guerre dissuadèrent tout nouvel affrontement. Personne n’osa donc trahir le Traité de Ramparr, et les ramparrois gardèrent alors leurs privilèges territoriaux. Cette prudence, née du traumatisme collectif laissé par la Brèche, constitua sans doute le mortier de la stabilité diplomatique relative qui caractérisa toute l’ère de l’Équilibre.